Des Protagoistes :
Jean Pierre DUPUY Crea sciences cognitives : le complexe n’existe pas ; c’est de
l’hypercompliqué dont les simples n’ont pu être dépliés en rapport à l’étymologie de« complectere »opposé au « simplex ».
Le Discours sur la Montagne : le plus simple équivaut au plus complexe à savoir le
Verbe.
Le complexe =le systémique complexe , par exemple le cerveau en neuro-sciences dans le
moment connexionniste d’auteurs comme Maturana et Varela.
J.L.Le MOIGNE tiraillé entre le designo de L de Vinci entendu sous forme de modélisation
projective et l’ingenium , l’inventivité de Vico et de Valery .
J.ARDOINO privilégiant l’étymologie indo européenne du mot à savoir le plek, le complexe
non désenchevêtrable, l’hétérogène, contre J P Dupuy, contre le systémique complexe et
contre le designo…
BOLLE DE BAL : La pensée complexe, c’est la pensée de la reliance
QUID ? Du complexe ? Du satané paradigme dit de la complexité ? Les scientistes ont
une voix royale en raison de ces discordances… D’ailleurs, un murmure…
VOIX OFF :
Celle d’Edgar MORIN
1 Dans un Colloque à Rio, énervé : je ne suis ni sociologue,ni philosophe, ni modèle, ni
gourou…cf l’article « MESSIE, mais non »dans les Entretiens de 1996 et 1997 pour la
revue de Pratiques Analyses Formation de Paris VIII relançant en cela la peur viscérale
de Nietzsche : « J’ai une peur horrible que l’on me canonise »
2 Puis, s’adressant à ses dévôts : « D’ailleurs, ils ne me lisent même pas…c’est leur
opinion qu’ils se transmettent de bouche à oreille… » « …si j’emploie trois termes, ils
n’en retiennent que deux et si j’utilise des expressions dialogiques, ils ne les entendent
pas … ».
INTRODUCTION :
J’ai inscrit dans le titre de cet exposé : « genèse compréhensive des différents modes de la
pensée complexe » Pourquoi ?
Justification de genèse : processus de pensée d’un auteur, cheminement de
l’oeuvre…invention, brèches, réorganisations, brèches, inventions…….aboutissement ?
Au sens de généalogie et d’archéologie de Nietzsche et de Foucault.
Justification de compréhensive : au sens étymologique de « prendre avec soi »,« cumprehendere » mais en n’oubliant jamais comme me l’a enseigné Gérard Lebrun
Que ce ne peut être que sous forme d’une micro histoire interprétative.
Sur l’histoire des oeuvres : de la macro-histoire à la micro-histoire (1)
Soit l’on entre dans un tableau diachronique doctrinal dans lequel telle oeuvre ou tel
auteur emplit tel chapitre de manière catégoriale et somme toute pérenne, tableau « prêt à
enseigner » telle ou telle discipline (littérature, peinture, architecture, philosophie, sociologie,
psychologie...), et l’on se trouve dans une construction systématique dite « objectivante ».
Soit l’on tente une micro-histoire évènementielle de telle ou telle oeuvre (tout ou partie), de
tel ou tel auteur, en les éclairant à l’aide d’une topique récurrente subjective et interprétative
choisie et décidée par la pensée de l’historien comme filtrage essentiel de la compréhension
de l’oeuvre toujours plurielle. Dans le premier choix, l’historien demeure rédacteur de
synthèses enseignables et académiques ; il demeure « répétiteur des oeuvres » en les
enchaînant. Dans le deuxième choix, l’historien-questionneur invente une problématisation
décalée à partir du repèrage d’une ou de plusieurs brèches(2) par son mode de lecture qui
insuffle vie et altération à tout ou partie de l’oeuvre par ses interrogations.
On essayera donc d’éclairer une partie de l’oeuvre de Morin à savoir sa « noologie » ou
science de l’esprit complexe en s’aidant de nombreuses discussions souvent informes et
impromptues au cours de travaux , de missions, de rédactions d’articles…
A quel projet originaire répondent les quatre premiers tomes de La Méthode ?
A celui voulu par G Bachelard. Cet auteur est un révolutionnaire , car pour lui, ce ne sont
plus les philosophes qui inventent la scientificité et la normativité du vrai mais les sciences
qui, dans leur élan à la fin du XIXème siècle et leur retournements et doutes quant aux notions
d’espace, de temps et de matière sont devenues le moteur et référentiel de la Pensée. D’où la
nécessité d’entrer dans des sciences de manière précise afin d’induire le « nouvel esprit »
qu’elles véhiculent et de promouvoir une pensée dialectique qui renverse la pensée binaire et
disjonctive des couples d’opposés, en montre leur inanité et les distord …(sujet-objet, réelimaginaire…).
E Morin en homme mature et fidèle à cet homme avec lequel il discutait
dans les arrière-boutiques des librairies du Quartier latin reprend ce projet à son compte. Il
écrit la « Nature de la Nature » pour les sciences physiques puis « La Vie de la Vie » pour la
biologie ; il en induit le « Nouvel esprit scientifique » de son époque dans « La connaissance
de la connaissance » et invente sa noologie ou son autre manière de philosopher, sa pensée
dite complexe dans le tome IV. Ce projet originaire ne comportait qu’un tome V intitulé à
l’époque «Anthropoéthique», tome qui réfléchissait alors sa visée humaniste digne de la
philosophie des Lumières …à la manière d’un néo-Kantien, ce dont il se départira ensuite…
I A
Comprendre la pensée complexe de E MORIN à partir d’une topique d’« histoire de la philosophie »
Mon éclairage est celui d’une historienne des concepts . Or, pour entendre la définition
morinienne de la complexité, il est nécessaire de revenir en amont sur les visions du monde,
les mythes et les paradigmes.
Deux mythes Appolon et Dyonisos.
Deux cosmogonies : Empédocle et Démocrite.
Deux paradigmes au sens originaire de Kuhn (Permanence et
Mouvant) Parménide et Héraclite et ce sont ces paradigmes qui justifient les prises de
position sur la complexité ; par exemple Dupuy légitime si je privilégie l’explication
causale, l’invariance l’homogène et la prédiction….Ardoino avec l’altérité revient à une mise
en scène plus dyonisiaque tandis qu’E Morin privilégie la pensée dialogique comme
l’originaire « chaosmos/cosmos » …Alors si ceux qui me lisent ne l’entendent pas
ensemble,c’est qu’ils ne veulent pas ou ne peuvent pas entendre et leur univers m’est étranger… par exemple j’entends le chaos en son sens mythologique c’est à dire dans le sens de
l’indistinction génésique, là où les formes n’ont pas encore pris forme,là où les formes
possibles sont potentielles, là où n’existent ni le désordre pur, ni l’ordre pur mais
l’indistinction de l’un et de l’autre …Je ne conçois le magmas que comme ce chaos
génésique, source de toutes créations et de toutes pluralités . Le chaos n’est pas méta, il
serait plutôt infra… ».
IB
E MORIN Kaléidoscopique, encyclopédant.
Les scientistes et les académiciens universitaires l’ayant attaqué comme effet de mode
passagère , peu sérieux se sont appuyés sur cette faculté de mettre quasiment tous les savoirs
en cycle. Car, quel auteur peut se réclamer de deux mythes opposés, de deux cosmogonies
rivales, de Montaigne, de Pascal auquel il emprunte la définition même de ses principes
hologrammatique et récursivité, de Leibniz (unitas multiplex), de Spinoza ( immanence et
parallélisme ontologique de l’esprit et du corps), de Hegel (apories), de Bachelard, du
connexionisme des neurosciences avec Maturana, …Une seule justification ,sa propre lecture
récurrente de sa pensée en 1994 dans « Mes démons » et les entretiens en 1996 et 1997.
Lecture récurrente de son processus de pensée.
II A
En analogie avec le Traité de la Réforme de l’entendement puis l’Ethique E
Morin se réfléchissant parle de «réorganisations génétiques ».
Dans La Méthode deux théorisations sont présentes et signalées comme
entrées de la pensée complexe :
• la propédeutique pour une pensée non linéaire se trouve être de l’ordre de la
théorie de l’information, processus de rétroaction cybernétique, entrée dans la
récursivité, sortie de la causalité linéaire pour une causalité circulaire.En tant
que rez de chaussée, cela retranscrit fort bien la genèse du processus de pensée
de l’auteur lors de ce qu’il appelle dans le livre Mes démons sa « deuxième réorganisation génétique » à l’occasion de son travail de recherche dans le
Laboratoire Américain du Salt Lake Institute.
Mais cette « réorganisation génétique » n’est en rien bouleversement
paradigmatique.
Car, dans la théorie de l’information, reprise par E.Morin en amont de la
construction de sa pensée, les concepts d’espace, de temps et de causalité
demeurent présents. L’espace demeure à deux dimensions, même si la ligne se
boucle en cercle ; le temps de l’ « input » et de l’«output » ne sont en rien
confondus, même s’ils interagissent l’un sur l’autre ; le principe de causalité
demeure toujours premier, même si la boucle récursive permet le
rebondissement de la cause en effet et de l’effet en cause car ce n’est, ni au
même moment du parcours de la boucle, ni dans le même espace-point du
cercle. Demeurent donc sans aucune remise en question les séparations de
l’avant et de l’après, les parcours différents et pluriels du cercle et le principe de
causalité.
• cet étage propédeutique dont le principe fondamental est la rétroaction
entendue au sens de Wiener, appliqué à la théorie biologique de l’autoorganisation,
implique la deuxième entrée de la pensée d’E.Morin, à savoir la
pensée auto-éco-organisationnelle, fer de lance de la théorie des systèmes
complexes.
Quel serait l’historique épistémologique de la systémique complexe ? En
premier lieu, le concept de système est héritier du concept de structure. Or, le
structuralisme ne s’érige pas contre la théorie atomiste mais privilégie la
recherche d’un modèle combinatoire organisationnel des unités isolées afin
d’expliquer tel ou tel « phénomène »-au sens Kantien-.En second lieu, cette
première logique organisationnelle est incluse dans une autre logique
organisationnelle, à savoir la systémique. Le concept de « système fermé » peut
alors être défini comme correspondant à des interactions de structures entre
elles, interactions non modifiables par l’environnement dans lequel le système
se trouve ; tandis que celui de « système ouvert » combine de manière
enchevêtrée les interactions internes et leurs modifications dues à l’inclusion du
système dans tel ou tel environnement qui rejaillit sur la logique
organisationnelle, et ceci de manière indéfinie...Plus ces enchevêtrements
d’interactions internes-internes et internes-externes seront nombreux et
dépendants de facteurs aléatoires, plus le système ouvert sera dit «complexe ». Tentons maintenant de visualiser cet historique : qu’il s’agisse de points
séparés sur une ligne, qu’il s’agisse d’une organisation de ces points en
structures, qu’il s’agisse d’organisations plus compliquées de ces structures en
systèmes fermés, voire même d’organisations hypercompliquées de ces
structures en systèmes ouverts aléatoires et dits complexes, la fondation
originaire paradigmatique est toujours empreinte d’un mode de pensée disjonctif
et réducteur même si la focalisation du regard s’ancre dans des concepts de plus en plus ouverts.(3) De plus,tous ces modes de lecture organisationnelle sont
toujours modélisables et, par ce faire, appartiennent toujours à une philosophie
de la représentation dans laquelle tout chercheur construit sa modélisation de
telle ou telle réalité complexe(4), modélisation rétro-agissant sur ce même
chercheur(5)-
Les théories propédeutiques, permissivités d’entrer dans la complexité future
d’Edgar Morin, connotées par lui-même de « rez de chaussée » de la pensée
complexe appartiennent à un mode de pensée parménidien.
Alors quelle serait la clef d’ouverture originaire du processus de pensée
complexe ? Appartient-elle à un autre paradigme, sachant que la théorie de
l’information et la théorie des systèmes ne demeurent que des passages
propédeutiques obligés afin d’auto-éco-organiser nos visions trop ponctuelles
mais demeurent sous une paradigmatique originaire identique ? E.Morin y
répond lui même dans un entretien que nous avons eu en mai1996 à Paris :« seule la pensée dialogique est le coeur de la pensée complexe ».
Tentons
donc de l’expliciter.
• la pensée dialogique, aporétique vivante indicible et inexplicable où tout
système est et demeure en même temps anti-système, où la computation n’est
pas jonction-connexion comme dans la langue des ordinateurs mais
“fusion/tension”(6).Si je segmente et tente d’expliquer les contraires dans leur
seule opposition(7), je ne suis plus penseur complexe, car je pense alors en logique
disjonctive. Si pour lire la récursivité, je m’en tiens à la cybernétique, je
n’entends pas la boucle spiralaire et indéfinie qui la « dépasse de tous côtés ».(8)Si
pour entendre l’hologramme , j’explicite le texte des deux infinis de Pascal en
allant de l’infiniment grand à l’infiniment petit et inversement, je perds les
fondamentaux du principe hologrammatique complexe puisque je pose les deux
infinis comme bornes séparées(9)...Or, Pascal indique très précisément ce point
abstrait de «fusion-tension » par le vocable « entre(10) les deux infinis ». Et si enfin, pour entendre la dialectique Hégélienne, je n’entre pas par la
dialogie et n’en sors pas en imagineant à chaque niveau de la boucle récursive le
point unitaire de résolution méta-théorique comme une dyade déjà oppositive, je
n’entends rien à la Dialectique Hégélienne(11).. Ce mode de lecture renversant
sans cesse l’identique singulier dans le non-identique duel est sous-tendu par la
mouvance et l’incertitude, principe clé du paradigme Héraclitéen. Mais, plus
précisément qu’est-ce qu’un mode de pensée dialogique ?
Le dialogique selon E.Morin : de la dyade à l’« unitas multiplex »
II B
Afin d’entendre ce qu’est une dyade, il est nécessaire de remonter à la
langue grecque et à son mode de fonctionnement linguistique. Chaque mot
exprime en lui deux significations oppositives tenues ensemble car leurs sens
opposés ne se comprennent que l’un à partir de l’autre : par exemple, techne
ouvre en même temps sur l’art et l’artisanat et sur le mot de technique dans sa
connotation plus moderne commentée par Heidegger. La plupart des vocables
importants s’expriment en faisant coexister sans cesse l’unité et la dyade des
opposés. De la même manière afin d’entendre Platon(12), il ne faut pas le lire
comme un latin qui séparerait l’ombre et la lumière, le visible et l’invisible, les
apparences et l’Etre, mais entendre que l’ombre est le reflet de la lumière et ne
se définit que par son appartenance et image « à l’inverse » de cette lumière, et
vice-versa.
Nous sommes donc toujours lorsque nous pensons dialogiquement(13) dans
un mode d’aperception qui tient ensemble la lecture séparée et exclusive des
contraires avec la lecture immanentiste, réflective et téléologique des définitions
des opposés l’un par l’autre. D’où les dyades privilégiées par E.Morin :« ordre/désordre » et « continu/discontinu » Et l’on retrouve Héraclite qui refuse
tout autant l’Un momifié que l’Univers pluriel afin de mettre en exergue le «perpétuel écoulement de toutes choses par lequel les contraires se renversent
ironiquement les uns dans les autres tout en étant conscient que c’est dans le
devenir lui même que se trouvent l’Un et le permanent » (14).
Cependant, toujours en dialogie, la dyade se compliquera dans d’autres
conceptualisations en « unitas multiplex». Cette notion monadique Leibnizienne est héritière de Plotin et de sa lecture de Dieu « un et multiple tout ensemble »
dans le livre V de la cinquième Ennéade. Le principe d’Héraclite mêle 2 en 1 et
1 en 2 dans leur conflit et habitat permanents. L’« unitas multiplex »(15) de Leibniz« intersection abstraite exprimant l’infinité »autorise l’immanence de l’infini en
1 en même temps que la singularité originale et monadique. Toute monade ou
unité singulière contient en elle l’Univers en l’exprimant spécifiquement car
chaque être n’est qu’un éclairage particulier du tout. Bien évidemment les
prédécesseurs de Leibniz, à savoir Pascal et Spinoza (Substance infinie/modes)
ne sont pas étrangers à ce retour vers Plotin.
Pour entendre la complexité d’E.Morin on ne peut que s’imprégner des
dyades héraclitéennes « ordre/désordre » et « permanence/devenir » en les
enrichissant des dyades « fini-infini » et « continu-discontinu » de l’unitas
multiplex . Mais pour vivre sa paradigmatique, il est nécessaire de tenir en
dialogie les deux visions du Monde : gréco-latine Parménidienne ainsi que
gréco-orientale immanentiste en énonçant les axiomes Pascaliens : « Le Tout est
plus grand que la partie » et simultanément « le Tout est moins grand que la
partie », tout comme « La partie est plus petite que le Tout » et simultanément« la partie est moins grande que le Tout ». D’où la difficulté, voire
l’impossibilité d’une formalisation de cette manière de penser, puisqu’on doit,
en même temps penser ces visions du monde comme séparées, complémentaires
et susceptibles d’être unies et, en même temps les fusionner. Selon moi,
lorsqu’Edgar Morin dans le tome III de La méthode tentait une requête de
formalisation et d’union des deux paradigmes auprès d’un ami logicien, il
revenait en amont à la propédeutique de son propre processus de pensée. Car, ilécrit assez souvent : aucune traduction formelle ne peut rendre compte de ce« Tout indicible et conflictuel ». La pensée complexe ne peut être modélisée,
c’est un « défi », une « attitude », expressions rappelées fort souvent dans les
débats des Journées Thématiques en 1998 à Paris(16).
Etre un penseur complexe selon E.Morin, c’est savoir simultanément« computer »(17) et « cogiter ». La “computation” est entendue autrement que dans
le langage informatique ; il s’agit de “fusion-tension” en raison de la dyade
unitaire et oppositive. Quant à la « cogitation », elle rappelle l’« unitas
multiplex » : « conception de l’unité dans le divers et le multiple et
simultanément conception du divers et du multiple dans l’un ». Et si un philosophe se reposait la question « comment comprendre la
complexité ? » il répondrait : par les aperceptions simultanées et de la dialogie
(incarnée dans les apories de la connaissance présentes chez Pascal, Leibnitz,
Nietzsche tout comme dans la vie des grands mystiques comme Thérèse d’Avila
et Saint Jean de La Croix), et de la réflexivité du cogito cartésien(18), “idée de
l’idée” en entendant par « idée », l’« idée du corps » comme Spinoza(19).
Conclusions.
1 Trois interprétations possibles de la notion de complexité chez E.MORIN
Une interprétation didactique
• Soit on lit les principes de la récursivité et de l’hologramme de manière figurée
et ils demeurent alors des principes didactiques de mise en doute d’une
philosophie par trop linéaire. Le cercle opère une première transformation de la
droite en la fermant. L’hologramme, figuré par des droites et des points nous
réclame, afin d’être compris, d’être vu de manière géométrique mais aussi sous
forme métaphorique par la projection des points et des droites en des « points
abstraits ».; d’où la permissivité d’« approcher » de manière non complexe le
dialogique par cet exercice. Dans cette interprétation, seul le principe dialogique
demeure le principe de toute pensée complexe.
Une interprétation dialogique
• Soit l’on s’en tient aux précisions données parfois par Edgar Morin lui même
et on irrigue la récursivité et l’hologramme de visions dialogiques. Comment ?
La récursivité serait et « cybernétique » avec l’exclusion réciproque de l’entrée
et de la sortie dans leur mouvement circulaire et « roue des contraires » dans un
mouvement de génération spiralaire des états contraires - reprise d’un thème
pythagoricien indiqué par Platon dans la première partie du Phédon : par
exemple, toute chose passe du chaud au froid et vice versa mais en n’oubliant
pas que ce devenir exige un sujet unitaire du devenir-. D’ailleurs la lecture
Morinienne de la dialectique Hégélienne retranscrit cette circularité spiralaire
indéfinie de méta-niveaux en méta-niveaux en s’intéressant plus à la dialectique
des « ruses de la Raison » (à chacun des méta-niveaux) qu’à la « Réalisation de
l’Esprit Absolu » comme finalité de la Phénoménologie de l’Esprit .(20)
L’hologramme se doit lui aussi d’être tenu comme figure géométrique et en
même temps comme conceptualisation de l’immanence du fini et de
l’infini....Mais en ce sens aucune théorisation ne pourrait se réclamer de la
Pensée complexe, pas plus le connexionisme des neuro-sciences que la systémique complexe car ils n’habitent pas en dialogie...De nombreux auteurs se
disant moriniens seraient alors fort déçus par cette interprétation.
Une interprétation complexe et enchevêtrée …
• soit encore l’enchevêtrement de ces deux modes de lecture souvent exprimé
comme construction de son processus de pensée par E. Morin dans La Méthode
: en amont, propédeutique des principes lus de manière non complexe puisénoncé du principe dialogique afin d’entrer dans la complexité, et enfin le
principe dialogique irriguant les deux autres principes pour penser la
complexité.
Evidemment, cette brèche entre trois principes ou/et un seul irriguant les
trois peut s’ouvrir vers d’autres lectures et chaque lecture sur d’autres « pensées
vivantes » dont la discussion témoignera après cette communication.
Des difficultés de transfert héritées de cette brèche : aperception,
enseignement et langage.
S’interroger sur le transfert des principes de la pensée complexe nécessite
le rappel de la définition du transfert d’apprentissage donnée par M.Genthon
dans son habilitation « notion entre apprentissage et cognition, entre savoir et
sens », « véritable jeu », « outil de transformation » lié à la conscience des
brèches en ouvertures ,voies de passage et de dépassement. Le transfert
s’alimente ainsi d’un jeu conjoint d’élucidation et de problématisation, de
processus internes et externes qui se contrarient tout en se générant
mutuellement.(21)
Les difficultés demeurent l’aperception de la dialogie et la possibilité de
son enseignement compréhensif sachant que notre mode de représentation
véhiculé par le langage est d’ordre distinctif. Si l’on entre par notre langue soustendue
par des modes de pensée disjoints, qu’ils soient simples (2 séparés de 1)
ou croisés (2 fois 2 séparés de 1) et si l’on complique leurs croisements grâce à
de nombreux exemples, on demeure en pensée de l’hyper-complication...Si l’on
entre par la logique inclusive grâce à certains modèles philosophiques et
mathématiques, on pourra plus facilement revenir à l’« imprinting » de
l’exclusion, mais on n’aura pas forcément permis le mode de pensée dialogique
devant simultanément « séparer/unir » les opposés et les « définir/finaliser » l’un
par l’autre dans une « fusion » non-oppositive. logiques à ceux qui poseraient séparés et seulement séparés puis réunis les
deux modes de pensée. D’ailleurs, la langue française permet-elle la
transcription de la pensée complexe ? Edgar Morin dans ses écrits tente toujours
d’inscrire les sens contraires dans deux morceaux de phrases oppositives ;
malheureusement, le lecteur demeure face à un discours linéaire, composé de
mots, de phrases et de paragraphes séparés!...Ce mode de fonctionnement non
dialogique de la langue française autorise tous les contresens, incompréhensions
et trahisons exprimées chez plusieurs interprètes par les seuls vocables de« pont », de « liens », d’« unions, d’« articulations », de« complémentaires »...Certes ces vocables, parties prenantes de la logique
exclusive, sont présents dans le premier morceau de telle ou telle phrase du
discours morinien afin de témoigner d’une aperception de la dialogie mais ils
sont toujours suivis de l’aperception de la logique inclusive dans le deuxième
morceau de la phrase, morceau souvent précédé des expressions « en même
temps » ou « simultanément ». Malheureusement les lecteurs ne retirent de leur
lecture que la première aperception, à savoir celle du mode de pensée exclusif
dans lequel leur « vision du monde habite ».
Alors n’aurait-il pas mieux valu afin d’éviter ces confusions transcrire
plutôt le discours de la complexité sous forme d’« aphorismes »(22) ouvrant plus
vers l’imaginaire d’une lecture plurielle d’« unitas multiplex » et aussi vers cette
« rationalité irrationnelle » dont Héraclite, Pascal, Nietzsche et Valéry sont
porteurs ?
...
Et là pourrait s’entrouvrir une autre brèche que cet article ne travaillera
pas. Pour quelles raisons E.Morin -comme d’ailleurs G.Bachelard- écrit-il des
livres différenciés avec un pan de son oeuvre plus épistémologico-philosophique
comme les tomes de La Méthode et un autre pan de son oeuvre plus poéticolittéraire
comme Amour, poésie, sagesse pour ne citer que la dernière
publication ? Ceci témoigne-t-il encore de croyance au mythe de la scientificité
ce dont il se défend ? Il ne le semble pas ; mais plutôt est-ce du à la focalisation
des livres de la Méthode sur un « phénomène »(nature, vie, connaissance, idées)
entendu en un sens néo-Kantien comme le fit Hegel dans la Phénoménologie de
l’Esprit (histoire, droit, morale, religion, histoire de la philosophie...) et pas en
un sens phénoménologique de l’évènement existentiel « hic et nunc ».
Cependant, il serait malhonnête de réduire l’oeuvre d’Edgar Morin à ces
deux seuls pans. Dans d’autres écrits avant La méthode lorsqu’il partait d’un
évènement tel « la mort » ou « l’an zéro de l’Allemagne » ou encore « la rumeur
d’Orléans », il les « travaillait » de manière pluri-référentielle. Certes, la pluriréférentialité
témoigne d’éclairages par des disciplines multiples tout comme par des discours autres que disciplinaires (la mythologie par exemple...) de tel ou
tel fait social ou politique mais pas encore de pensée dialogique. Par contre,
récemment, lorsque cet auteur écrit des analyses d’évènements politiques dans
les quotidiens, il utilise souvent le mode de pensée dialogique : par exemple,
pour n’en citer qu’un, l’article « Le double regard » à propos du conflit israélopalestinien
lors de l’été 1997 dans le journal « le Monde ». Mais, ce mode de
pensée est aussi exprimé lors de la transcription de « carnets ethnographiques »
tels Une Année Sisyphe et Pleurer,aimer, rire et comprendre ou encore
d’autobiographie intellectuelle comme Mes démons : dans ces textes sont livrés
en dialogie sa vie et sa réflexivité de chercheur international de la fin du XXème
siècle.
Tout ceci tendant à conclure et synthétiser mon interprétation/altération :
•les quatre premiers tomes de La méthode auraient été sur chacun des thèmes
envisagés la constitution de son processus de pensée sur la complexité : de la
systémique organisationnelle éclairée par la dyade « ordre-désordre » ou encore
par le « travail des contradictions » de Hegel à leur enrichissement Plotinien,
Pascalien et Leibnizien du singulier/pluriel et d’une vision « finie/infinie » et
« continue/discontinue »...
•L’accent mis sur le dialogique comme « coeur de la pensée complexe » résonne
plus fortement lors d’entretiens et de conférences à partir de 1992(23) , date qui
simultanément marque l’arrêt de l’écriture de La Méthode et la préférence pour
d’autres genres de textes(24).
Et en ultime interrogation, E. Morin inventera-t-il un autre genre
d’écriture « imprévisible et indicible » étonnant les fidèles et éclairant les défis
de la complexité dans toute leur vivance ? Nous sommes tous impatients de le
lire afin de le savoir...
RIO.1998 -Atelier « La Pensée Complexe »
C PEYRON-BONJAN, Professeur des Universités-LYON LUMIERE IIDirecteur
de recherches au Laboratoire C.I.R.A.D.E.-Université Aix-Marseille I.
Membre du Conseil scientifique présidé par E.Morin au Ministère de l’Education Nationale.
1 se référer pour ce paragraphe à la conclusion rédigée par G.Lebrun « Devenir de la philosophie »du tome III
du livre Notions de philosophie sous la direction de D.Kambouchner publié chez Gallimard en novembre 1995.
2 les philosophes de la déconstruction l’intitulaient « faille ».
3 du point sur un vecteur à une organisation de vecteurs, puis à une organisation d’organisations de vecteurs, puis
à une organisation aléatoire et toujours mouvante due aux interactions des organisations des organisations de
vecteurs...
4 complexe est pris ici dans le sens ordinaire de la langue française et pas dans son sens épistémologique
morinien.
5 cf Le Moigne La Modélisation des systèmes complexes-.
6 reprise d’une métaphore trouvée pour une communication au colloque M.C.X 1997 à Poitiers et acceptée par
l’auteur : « cette métaphore aide si l’on songe à la fois à la fusion et à la tension et à condition de savoir
intégrer l’opposition de ces termes »
Le signe / se voudrait signe du dialogique (impossible à représenter).
7 je préfère les vocables d’opposés et de contraires plutôt que de contradictions car ce dernier demeure trop
connoté par la logique des propositions.
8 « Wiener a fait émerger la notion de boucle, mais la notion de récursivité en son sens complexe dépasse de tous
côtés la cybernétique... » cf Entretiens 1996 E.Morin.
9 cf Morin : « je loue Pascal d’être dialogique...ceux qui sont dans le principe hologrammatique non complexe,
ce sont tous les tenants de l’analogie du microcosme et du macrocosme. Or cette idée est excellente mais que le point est singulier tout en ayant en lui le tout. »
10 quoique ce mot puisse être entendu dans son sens habituel (entre deux choses séparées) et non de manière
Pascalienne.
11 souvent dans les textes d’E.Morin on trouve cette appellation de la dialectique en lieu et place de la dialogie
mais c’est parce que sa focalisation de la dialectique trouve son coeur dans la dialogie.
12 contrairement à son enseignement en classe de terminale qui reflète la logique indiquée dans le paragraphe
précédent, logique dépendante du mode de pensée parménidien.
13 cf E.Morin in Entretiens avec J.Ardoino et C.Peyron-Bonjan le 20 juillet1997 : « la dialogie maintient
ensemble la complémentarité des antagonismes et les antagonismes des complémentarités. Alors si ceux qui me
lisent n’entendent pas ensemble, c’est qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas entendre et leur univers m’est
étranger »
14 cf M.Piclin Les philosophies de la triade , Paris, Vrin, 1980.
15 « point abstrait », singulier, reflétant le tout et les autres singularités à sa manière unique, mais en même
temps, intersection non figurée de toutes les multiplicités, explicitera Leibniz.
16ors de sa nomination par le Ministre de l’Education nationale comme Président du Conseil scientifique pour la
mission : « quels savoirs enseigner dans les lycées »
17 par le choix de l’ expression d’E.Morin, j’essaie de dépayser le lecteur et de retranscrire l’indicible dyade tel
qu’il la définit : « perception du différent dans le même et perception du même dans le différent »-cf Méthode
III p.117-. Il ne faut surtout pas le lire avec sons sens technologique américain.
18 tous les titres des tomes de La méthode en témoignent : la nature de la nature, la vie de la vie, la connaissance
de la connaissance...
19 en raison du parallélisme des deux attributs que nous connaissons : l’étendue et la pensée.
20 cf Deuxième Entretien Morin, Ardoino et C.Peyron-Bonjan 1995.
21 le « transfert » se nourrit justement de l’idée de brèche dans le système de pensée entendue selon Gödel et
Tarski.
22 E.Morin m’avait répondu lors du quatrième entretien le 20 juillet 1997 : « il faudrait effectivement se résoudre
à ne plus rédiger sous forme de discours organisés »
23 j’entends ici la priorité essentielle du principe dialogique ; car, dans La Méthode ce principe y est énoncé
comme les deux autres et en même temps que les deux autres.
24 dont les premiers du genre « carnets ethnographiques » publiés en 1994 et 1995 furent vivement critiqués par
les pairs ; à croire qu’ils avaient oubliés de lire tous les « simultanément » dans les quatre livres de La Méthode,
ou encore que sur deux phrases accolées, ils en sautaient toujours une!...
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