Complexité

La complexité : ses définitions plurielles, ses modes de pensée avec mise en exergue de la pensée complexe selon Edgar Morin- Lisbonne 2007



Cette intervention tentera de répondre à deux questions : le vocable complexité est-il un "motmasque", effet de mode éphémère et passager ou peut -il avoir plusieurs définitions ? ­ la complexité définie par Edgar Morin serait -elle un axe d'appui pour une autre manière d'envisager l'action humaine ?
Cette conférence sera dans le voeu philosophique platonicien, à savoir tenter de sortir de l'opinion en vue de passer à un discours creusant et définissant de manière réflexive les concepts.
Les différentes définitions de la complexité (1)
En langue ordinaire, le mot de complexité a pour synonyme celui de compliqué et s’oppose au simple. Un problème complexe est un problème dont la solution n’est pas immédiatement apparente. L’étymologie de ce mot a deux racines : l’une latine à partir du verbe “ complectere ” dont le sens premier est “ plier avec ”, “ entrelacer ”, “ plier en plusieurs fois ”, cette racine étymologique latine s’oppose au mot “ simplex ” qui signifie “ ce qui ne fait qu’un pli ” ; l’autre racine est le mot “ plek ” indo-européen qui s’est transformé en mot latin “ complexus ”.
En épistémologie, plusieurs définitions de la complexité semblent s'interroger mutuellement voire même s’affronter. Par exemple, Jean -Pierre Dupuy rejette cette notion puisque le complexe serait, pour lui, toujours un hyper compliqué que l'on pourrait simplifier ! Jacques Ardoino, partisan de la dialectique et de l’hétérogénéité refuse d'octroyer quelque pertinence à la suite linéaire "compliqué-complexe". Jean Louis Le Moigne avance un paradoxe définitoire à l'aide de la métaphore du discours sur la montagne, " paroxysme de la complexité qui a pour véhicule le mot le plus simple... "(2).
La complexité serait -elle donc réductible ou irréductible au compliqué ?
Paradoxalement hyper simple ou pas ?
Si l'approche de Jean-Pierre Dupuy refuse la notion de complexité comme mot vide de sens, si celle de Jean Louis Le Moigne tente de l'exprimer dans son indicible paradoxal, alors que Jacques Ardoino privilégie l’hétérogénéité afin de la dire, seul Edgar Morin inclut le simple et le compliqué dans la complexité de manière dialogique.

Comprendre l’épistémologie complexe à partir de l’histoire de la philosophie .

Mon éclairage est non pas celui d’une épistémologue mais celui d’ une historienne des concepts et des systèmes de pensée. Afin d’entendre la définition morinienne de la complexité, il est selon moi nécessaire de revenir en amont sur les visions du monde, les mythes et les paradigmes. A l’origine de l’histoire de la pensé e deux mythes et deux cosmogonies. Le mythe d’Appolon fils de deux dieux, aimant le tir à l’arc précis et juste sur la cible tout comme l’harmonie de la musique de la lyre; le mythe de Dyonisos symbolisant la filiation d’un dieu et d’une mortelle, aimant orchestrer des fêtes quasi orgiaques permettant de vivre à l’extrême jusqu’à en “ tomber
mort ”, redonnant vie à des bois de ceps morts en les touchant simplement ... En somme, en mythologie l’opposition entre la pureté, la vérité, la justesse et l’harmonie avec le métissage, la dialogie et le mouvant. Au début de l’histoire de la philosophie, l’opposition entre deux manières de voir le cosmos : celle d’Empédocle pour lequel le monde est une Unité non séparée et celle de Démocrite privilégiant la physique de s atomes séparés. Opposition cosmologique entre la vision du Un et celle du Multiple. Et à l’origine de l’histoire de la pensée occidentale, deux présocratiques Parménide et Héraclite, soubassements opposés entre la pensée de l’identité et de la permanence et celle de la mouvance. Si l'on garde comme définition essentielle du mot kuhnien de "paradigme" l'idée d'un coeur de croyances à partir duquel la pensée s'exprimerait, on aurait plusieurs options afin de comprendre le vocable de complexité : si notre cro yance épistémologique a pour finalité l'explication, le mode de fonctionnement, le repérage des plis de l'hyper compliqué et de leurs interactions et régulation, le discours de J. P. Dupuy est légitime. Si notre croyance épistémologique a pour finalité le noeud gordien, on entre dans Bachelard où toute modélisation scientifique est une mise en scène déjà erronée parcellairement ou complètement pour une autre mise en scène future. Si on demeure dans un mode de questionnement parménidien, on recherche toujours un invariance, une homogénéité, un mode de fonctionnement, une explication causale. Parfois on aimerait même découvrir des lois causales de "l'émergence aléatoire" à partir de modélisations hyper compliquées de connexions de variables indéfinies… - cf par exemple la biologie moléculaire - La normativité visée demeurant toujours la prédiction. Si on demeure dans un mode de questionnement héraclitéen, on perd toute prétention à l'explication causale et prédictive.
L’épistémologie héritière de la pensée occid entale s’est inscrite plus particulièrement dans une mise en scène apollinienne, démocritéenne et parménidienne. Nietzsche a tenté comme philosophe de revenir à une mise en scène héraclitéenne et dionysiaque. Edgar Morin, privilégiant comme clef d’entrée d ans l’épistémologie complexe la dialogie, tient ensemble les deux mises en scène.

Construction enchevêtrée de la notion de "complexe " par Edgar Morin (3).

Dans La Méthode deux théorisations sont présentes et signalées comme entrées de la pensée complexe :
• la propédeutique pour une pen sée non linéaire se trouve être de l’ordre de la théorie de l’information, processus de rétroaction cybernétique, entrée dans la récursivité, sortie de la causalité linéaire pour une causalité circulaire. En tant que rez de chaussée, cela retranscrit fort bien la genèse du processus de pensée de l’auteur lors de ce qu’il appelle dans le livre Mes démons sa “ deuxième réorganisation génétique ” à l’occasion de son travail de recherche dans le Laboratoire Américain du Salk Institut.
Mais cette “ réorganisation génétique ” n’est en rien bouleversement paradigmatique. On peut découvrir comme sous-jacent à tout discours tel ou tel paradigme car il témoigne de certains concepts fondamentaux, des catégories maîtresses de son intelligibilité ainsi que des relations logiques entre ces concepts ou catégories. Par exemple, lorsque Bachelard écrit son épistémologie non -cartésienne en vue d’une pensée constructiviste, il s’inscrit toujours dans une philosophie de la représentation où les concepts de sujet et d’objet deme urent présents. Il dit lui - même sa volonté de “ distordre les couples conceptuels de la métaphysique classique, tels réalité/apparence, être/non -être, abstrait/concret, vrai/faux, sujet/objet...; cependant les distordre, c’est encore les garder comme fondements même si le sujet influence son objet de connaissance en l’étudiant et perd l’espoir de pouvoir cibler l’essence inaliénable du réel pour n’en pouvoir construire qu’une connaissance dite “ approchée ”. D’ailleurs, certains titres de Bachelard témoignent de son appartenance au rationalisme : Le rationalisme appliqué et Le matérialisme rationnel , titres dans lesquels sa démarche épistémologique se révèle plus être une volonté d’interaction réciproque de l’esprit rationnel du chercheur et de la matière que le rejet de leur existence ou de leur séparation (4).
Or, dans la théorie de l’info rmation, reprise par Edgar Morin en amont de la construction de sa pensée, les concepts d’espace, de temps et de causalité demeurent présents. L’espace demeure à deux dimensions, même si la ligne se boucle en cercle ; le temps de l’ “ input ” et de l’“output ” ne sont en rien confondus, même s’ils interagissent l’un sur l’autre ; le principe de causalité demeure toujours premier, même si la boucle récursive permet le rebondissement de la cause en effet et de l’effet en cause car ce n’est, ni au même moment du parcours de la boucle, ni dans le même espace point du cercle. Demeurent donc, sans aucune remise en question, les séparations de l’avant et de l’après, les parcours différents et pluriels du cercle et le principe de causalité.
• cet étage propédeutiqu e dont le principe fondamental est la rétroaction entendue au sens de Wiener, appliqué à la théorie biologique de l’auto -organisation, implique la deuxième entrée de la pensée d’Edgar Morin, à savoir la pensée auto-éco-organisationnelle, fer de lance de la théorie des systèmes complexes.
Quel serait l’historique épistémologique de la systémique complexe ? En premier lieu, le concept de système est héritier du concept de structure. Or, le structuralisme ne s’érige pas contre la théorie atomiste mais privilég ie la recherche d’un modèle combinatoire organisationnel des unités isolées afin d’expliquer tel ou tel “ phénomène ” -au sens Kantien-. En second lieu, cette première logique organisationnelle est incluse dans une autre logique organisationnelle, à savoir la systémique. Le concept de “ système fermé ” peut alors être défini comme correspondant à des interactions de structures entre elles, interactions non modifiables par l’environnement dans
lequel le système se trouve ; tandis que celui de “ système ouvert ” combine de manière enchevêtrée les interactions internes et leurs modifications dues à l’inclusion du système dans tel ou tel environnement qui rejaillit sur la logique organisationnelle, et ceci de manière indéfinie... Plus ces enchevêtrements d’inter actions internes-internes et internes-externes seront nombreux et dépendants de facteurs aléatoires, plus le système ouvert sera dit “ complexe ”.
Tentons maintenant de visualiser cet historique épistémologique, à savoir de la pensée linéaire à la systémique complexe : qu’il s’agisse de points séparés sur une ligne, qu’il s’agisse d’une organisation de ces points en structures, qu’il s’agisse d’organisations plus compliquées de ces structures en systèmes fermés, voire même d’organisations hyper compliquées de ces structures en systèmes ouverts aléatoires et dits complexes, la fondation originaire paradigmatique est toujours empreinte d’un mode de pensée disjonctif et réducteur même si la focalisation du regard s’ancre dans des concepts de plus en plus ouver ts.(5) De plus, tous ces modes de lecture organisationnelle sont toujours modélisables et, par ce faire, appartiennent toujours à une philosophie de la représentation dans laquelle tout chercheur construit sa modélisation de telle ou telle réalité complexe(6), modélisation rétroagissant sur ce même chercheur (7)-

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Et comme tout chercheur exprime dans ses textes s on appartenance à un mode spécifique de raisonnement issu de son paradigme originaire, essayons de creuser cette question. Présupposé : les résonances des mises en scène dans les modes de pensée. Tout processus de pensée d’un chercheur participe comme tou te activité cognitive de “ résonances constitutives ”(8) habitant certains modes de raisonnement. Par exemple, un penseur cartésien réside dans une logique constituée de deux substances exclusives l’une de l’autre -res extensa et res cogitans -(9), ces deux substances finies étant créées par un Etre divin extérieur à elles puisque infini (1séparé de 1+1disjoints). Ce tte logique peut être compliquée comme dans les trois moments de la dialectique hégélienne en vue de la réalisation de l’Esprit. Or, lire les auteurs cités ci -dessus avec ce mode de pensée identitaire et permanent (10), c’est se référer au paradigme Parménidien : “ l’Etre est, le Non-être n’est pas, le vrai ne pe ut être faux en même temps... ”.
Les théories propédeutiques, sortes de permissivités d’entrer dans la complexité future d’Edgar Morin, connotées par lui -même de “ riez de chaussée ” de la pensée complexe appartiennent à ce même paradigme. Alors quelle serait la clef d’ouverture originaire du processus de pensée complexe ? Appartient - elle à un autre paradigme, sachant que la théorie de l’information et la théorie des systèmes ne demeurent que des passages propédeutiques obligés afin d’auto -éco-organiser nos visions trop ponctuelles mais demeurent sous une paradigmatique originaire identique ? Edgar Morin y répond lui même dans un entretien que nous avons eu en mai1996 à Paris (11): “ seule la pensée dialogique est le coeur de la pensée complexe ”.Tentons donc de l’expliciter.
• la pensée dialogique, aporétique, vivante, indicible et inexplicable où tout système est et demeure en même temps anti -système, où la computation n’est pas jonction conn exion comme dans la langue des ordinateurs mais “fusion/tension” (12). Si je segmente et tente d’ expliquer les contraires dans leur seule opposition (13), je ne suis plus penseur complexe car je pense alors en logique disjonctive. Si pour lire la récursivité, je m’en tiens à la cybernétique, je n’entends pas la boucle spiralaire et indéfinie qui la “ dépasse de tous côtés ”.(14)Si pour entendre l’hologramme , j’explicite le texte des deux infinis de Pascal en allant de l’infiniment grand à l’infiniment petit et inversement, je perds les fondamentaux du principe hologrammatique complexe puisque je pose les deux infinis comme bornes séparées (15)...Or, Pascal indique très précisément ce point abstrait de “ fusion tension ” par le vocable “ entre (16) les deux infinis ”.
Et si enfin, pour entendre la dial ectique Hégélienne, je n’entre pas par la dyade dialogique et n’en sors pas en imaginant à chaque niveau de la boucle récursive le point unitaire de résolution méta théorique comme une dyade déjà oppositive, je n’entends rien à la Dialectique Hégélienne (17).. Ce mode de lecture renversant sans cesse l’identique singulier dans l e non-identique duel est sous - tendu par la mouvance et l’incertitude, principe clé du paradigme Héraclitéen. Mais, plus précisément qu’est -ce qu’un mode de pensée dialogique ?

Le coeur de la mise en scène complexe selon E.Morin : de la dyade à l’“ unitas multiplex ”

Afin d’entendre ce qu’est une dyade, il est nécessaire de remonter à la langue grecque et à son mode de fonctionnement linguistique. Chaque mot exprime en lui deux significations oppositives tenues ensemble car leurs sens opposés ne se comprenn ent que l’un à partir de l’autre et aussi de l’un vers l’autre : par exemple, techne ouvre en même temps sur l’art et l’artisanat et sur le mot de technique dans sa connotation plus moderne commentée par Heidegger. La plupart des vocables importants s’expriment en faisant coexister sans cesse l’unité et la dyade des opposés.
De la même manière afin d’entendre Platon (18), il ne faut pas le lire uniquement comme un latin qui séparerait l’ombre et la lumière, le visible et l’invisible, les apparences et l’Etre, mais entendre que l’ombre est le reflet de la lumière et ne se définit que par son appartenance et image “ à l’inverse ” de cette lumière, et vice -versa. Nous sommes donc toujours lorsque nous pensons dialogiquement (19) dans un mode d’aperception qui tient ensemble la lecture séparée et exclusive des contraires avec la lecture immanentiste, réflective et téléologique des définitions des opposés l’un par l’autre. D’où les dyades privilégiées par Edgar Morin : “ ordre/désordre ” et “ continu/discontinu ”... Et l’on retrouve Héraclite qui refuse tout autant l’Un momifié que l’Univers pluriel afin de mettre en exergue le “ perpétuel écoulement de toutes choses par lequel les contraires se renversent ironiquement les uns dans les autres tout en étant conscient que c’est dans le devenir lui -même que se trouvent
l’Un et le permanent ” (20)
Cependant, toujours en dialogie, la dyade se compliquera dans d’autres conceptualisations en “ unitas multiplex”. Cette notion monadique Leibnizienne est héritière de Plotin et de sa lecture de Dieu “ un et multiple tout ensemble ” dans le livre V de la cinquième Ennéade. Le principe d’Héraclite mêle 2 en 1 et 1 en 2 dans leur conflit et habitat permanents. L’“ unitas multiplex ”(21)de Leibniz “ intersection abstraite exprimant l’infi nité ” autorise l’immanence de l’infini en 1 en même temps que la singularité originale et monadique. Toute monade ou unité singulière contient en elle l’Univers en l’exprimant spécifiquement car chaque être n’est qu’un éclairage particulier du tout. Bien évidemment les prédécesseurs de Leibniz, à savoir Pascal et Spinoza (Substance infinie/modes) ne sont pas étrangers à ce retour vers Plotin. Pour entendre la complexité d’E.Morin on ne peut que s’imprégner des dyades héraclitéennes “ ordre/désordre ” et “ permanence/devenir ” en les enrichissant des dyades “ fini infini ” et “ continu discontinu ” de l’unitas multiplex . Mais pour vivre sa paradigmatique, il est nécessaire de tenir en dialogie les deux visions du Monde : gréco -latine Parménidienne ainsi qu e grécoorientale
immanentiste en énonçant les axiomes Pascaliens : “ Le Tout est plus grand que la partie ” et simultanément “ le Tout est moins grand que la partie ”, tout comme “ La partie est plus petite que le Tout ” et simultanément “ la partie est moins grande que le Tout ”. D’où la difficulté, voire l’impossibilité d’une formalisation de cette manière de penser, puisqu’on doit, en même temps penser ces visions du monde comme séparées, complémentaires et susceptibles d’être unies et, en même temps le s fusionner(22). Selon moi, lorsque Edgar Morin dans le tome III de La Méthode tentait une requête de formalisation et d’union des deux paradigmes auprès d’un ami logicien, il revenait en amont de la propédeutique de son propre processus de pensée. Car, il écrit assez souvent : aucune traduction formelle ne peut rendre compte de ce “ Tout indicible et conflictuel ”. La pensée complexe ne peut être modélisée, c’est un “ défi ”, une “ attitude ”, expressions rappelées fort souvent dans les débats des Journées Thématiques en 1998 à Paris (23).
Etre un penseur complexe selon Edgar Morin, c’est savoir simultanément “ computer ”(24) et “ cogiter ”. La “computation” est entendue autrement que dans le langage informatique ; il s’agit de “fusion tension” en raison de la dyade unitaire et oppositive. Quant à la “ cogitation ”, elle rappelle l’“ unitas multiplex ” : “ conception de l’unité dans le divers et le multiple et simultanément conception du divers et du multiple dans l’un ” Et si un philosophe se reposait la question “comment comprendre la complexité ?” il répondrait : par les aperceptions simultanées et de la dialogie (incarn ée dans les apories de la connaissance présentes chez Pascal, Leibniz, Nietzsche tout comme dans la vie des grands mystiques comme Thérèse d’Avila et Saint Jean de La Croix), et de la réflexivité du cogito cartésien (25), “idée de l’idée” en entendant par “ idée ”, l’“ idée du corps ” comme Spinoza(26).
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Trois interprétations possibles de la notion de complexité chez Edgar Morin.

Trois interprétations de lecture d’Edgar Morin demeurent possibles : une interprétation didactique, une interprétation dialogique et une interprétation ench evêtrée des deux modes de lecture.
Interprétation didactique.
• Soit on lit les principes de la récursivité et de l’hologramme de manière figurée et ils demeurent alors des principes didactiques de mise en doute d’ une épistémologie classique. Le cercle opère une première transformation de la droite en la fermant. L’hologramme, figuré par des droites et des points nous réclame, afin d’être compris, d’être vu de manière géométrique mais aussi sous forme métaphorique p ar la projection des points et des droites en des “ points abstraits ”; d’où la permissivité d’“ approcher ” de manière non complexe le dialogique par cet exercice. ­
Interprétation dialogique.
• Soit l’on s’en tien t aux précisions données parfois par Edgar Morin lui même et on irrigue la récursivité et l’hologramme de visions dialogiques. Comment ? La récursivité serait dans un même temps, “ cybernétique ” avec l’exclusion réciproque de l’entrée et de la sortie dans leur mouvement circulaire, et “ roue des contraires ” dans un mouvement spiral de génération des états contraires - reprise d’un thème pythagoricien indiqué par Platon dans la première partie du Phédon : par exemple, toute chose passe du chaud au froid et vice versa mais en n’oubliant pas que ce devenir exige un sujet unitaire du devenir.
L’hologramme se doit lui aussi d’être tenu comme figure géométrique kaléidoscopique et en même temps comme conceptualisation de l’immanence du fini et de l’infini....Mais en ce sens aucune modélisation ne pourrait se réclamer de la pensée complexe, pas plus le connexionisme des neurosciences que la systémique car ils n’habitent pas en dialogie...De nombreux auteurs se disant moriniens seraient alors fort déçus par cette in terprétation.
Interprétation sous forme de noeud gordien.
• soit encore l’enchevêtrement de ces deux modes de lecture souvent exprimé comme construction de son processus de pensée par Edgar Morin dans La Méthode : en amont, propédeutique des principes lus de manière non complexe puis énoncé du principe dialogique afin d’entrer dans la complexité, et enfin le principe dialogique irriguant les deux autres principes pour penser la complexité.
Evidemment, cette brèche e ntre trois interprétations ou/et une seule irriguant les trois peut s’ouvrir vers d’autres lectures et chaque lecture sur d’autres “ pensées vivantes ”.

Conclusion

Demeurer lucide sur la mise en scène dialogique de la notion de complexité déplace les modes d' interrogations. Comprendre Edgar Morin oblige à une attitude mentale de réflexivité ; c'est une sorte de défi car il ne peut plus être question de rechercher ni modélisation ni formalisation, ces questionnements demeurant en prise avec la vision par ménidienne. La notion de complexe demande donc aux praticiens d'interroger non seulement leur expertise et leurs savoirs, mais aussi de cheminer sans cesse à l'interface de l’un et du multiple, de la causalité et de la finalité, du fini et de l'infini, du continu et du discontinu… ; ce voyage devant être une errance sans jamais privilégier un mode de pensée quel qu'il soit. Son approche nous incite à inventer de manière nomade, sans aucune méthode repérable d'autres sens de la scientificité et de l'action.
Que faire de la notion de complexité chez Edgar Morin pour la pratique ? Il me semble que quelques conseils pourraient en être tirés en vue d'une sorte de stratégie mentale de tous les instants : douter, problématiser, réfléchir, combiner plusieurs regards , et plusieurs mises en scène, somme toute inventer et créer une méthode, la sienne à tout moment : "Aides toi ; la méthode t'aidera".

1 Cf article C. Peyron Bonjan "Des apories de l'épistémé aux concepts de la praxis - questions épistémologiques à propos de la recherche en éducation" in L'année de la recherche en sciences de l'éducation, AFIRSE, PUF, Paris,
1994, pp 71 - 87.

2 J.L. Le Moigne dans un entretien avec J. Ardoino, Aix, 1993.

3 Cf article C. Peyron Bonjan "La pensée d'Edgar Morin réinterrogée pour un enseignement à visé e cognitive complexe" in L'année de la recherche en sciences de l'éducation, AFIRSE, Matrice, Paris, 2000, pp 21 - 40.

4 l’interaction n’évite pas la séparation du savant et de son objet de recherche ; pour cette raison, le constructivisme habite encore la philosophie de la représentation.

5 du point sur un vecteur à une organisation de vecteurs, puis à une organisation d’organisations de vecteurs, puis à une organisation aléatoire et toujours mouvante due aux interactions des organisations des organisations de vecteurs...

6 complexe est pris ici dans le sens ordinaire de la langue française et pas dans son sens épistémologique morinien.

7 cf Le Moigne La Modélisation des systèmes complexes -.

8 cf Peyron-Bonjan in “ Le sujet : mythe et en -jeu de l’éducation ” in Actes du Colloque de l’A.F.I.R.S.E. 1997 à
Rabat-Maroc.

9 substances séparées dont l’ union s’opère topologiquement chez l’être humain dans la “ glande pinéale ”.
L’imginaire à propos de cette glande demeure encore vivace aujourd’hui (cf les expériences ayant permis l’invention du produit appelé mélatonine).

10 Il existe cependant, d’autres modalité s de lecture des auteurs (logique immanentiste et inclusive, couplage des logiques exclusives et inclusives...) certains auteurs s’y prêtant mieux que d’autres. Pour ne prendre qu’un exemple la lecture de Descartes par Husserl dans les Méditations cartésie nnes focalisant sur le doute et le cogito n’appartient pas au même logos que la lecture insistant plus sur le Discours de la Méthode et la pensée analytique.
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11 cf Pratiques de Formation -Analyses- Paris VIII- Janvier 2000-

12 reprise d’une métaphore trouvée pour une communication au colloque M.C.X 1997 à Poitiers et acceptée par
l’auteur : “ cette métaphore aide si l’on songe à la fois à la fusion et à la tensio n et à condition de savoir intégrer l’opposition de ces termes ” Le signe / se voudrait signe du dialogique (impossible à représenter car la barre suggère plus la séparation que la séparation/non -séparation pensées ensemble).

13 je préfère les vocables d’opposés et de contraires plutôt que de contradictions car ce dernier demeure trop connoté par la logique des propositions.

14 “ Wiener a fait émerger la notion de boucle, mais la notion de récursivité en son sens complexe dépasse de tous côtés la cybernétique... ” cf Entretiens 1996, op cit, E.Morin.

15 cf Morin : “ je loue Pascal d’être dialogique...ceux qui sont dans le principe hologrammatique non complexe ,
ce sont tous les tenants de l’analogie d u microcosme et du macrocosme . Or cette idée est excellente mais possède un défaut : pour elle le microcosme est le miroir du macrocosme mais elle oublie l’hologrammie : c’est que le point est singulier tout en ayant en lui le tout. ”

16 quoique ce mot puisse être entendu dans son sens habituel (entre deux choses séparées) et non de manière
Pascalienne.

17 souvent dans les textes d’E.Morin on trouve cette appellation de la dialectique en lieu et place de la dialogie mais c’est parce que sa focalisation de la dialectique Hégélienne est le renversement des opposés l’un dans l’autre à chaque moment de la dialec tique, car même à l’intérieur de chaque point méta -théorique de résolution synthétique se joue une autre dialogie ( cf op cit, Entretien IV discussion sur Hegel avec C.Peyron -Bonjan).

18 contrairement à son enseignement en classe de terminale qui reflète la logique indiquée dans le paragraphe précédent, logique dépendante du mode de pensée parménidien.

19 cf E.Morin in op cit Entretien IV avec J.Ardoino et C.Peyron -Bonjan le 20 juillet1997 : “ la dialogie maintient ensemble la complémentarité des antagonismes et les antagonismes des complémentarités. Alors si ceux qui me lisent n’entendent pas ensemble, c’est qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas entendre et leur univers m’est étranger ”

20 cf M.Piclin Les philosophies de la triade , Paris, Vrin, 1980.

21 “ point abstrait ”, singulier, reflétant le tout et les autres singularités à sa manière unique, mais en même temps, intersection non figurée de toutes les multiplicités, explicitera Leibniz.

22 le vocable “ fusionner ” reprend la métaphore “ fusion-tension ” mais ne doit être entendu ni comme confusion, ni comme mélange, plutôt simplement comme non séparé.

23 Lors de sa nomination par le Ministre de l’Educ ation nationale comme Président du Conseil scientifique pour la mission : “ quels savoirs enseigner dans les lycées ”

24 par le choix de l’ expression d’E.Morin, j’essaie de dépayser le lecteur et de retranscrire l’indicible dyade tel qu’il la définit : “ perception du différent dans le même et perception du même dans le différent ”-cf Méthode III
p.117-. Il ne faut surtout pas le lire avec son sens technologique américain.

25 tous les titres des tomes de La méthod e en témoignent : la nature de la nature, la vie de la vie, la connaissance de la connaissance...

26 en raison du parallélisme des deux attributs que nous connaissons : l’étendue et la pensée.
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