Cette intervention tentera de répondre à deux questions : le vocable complexité est-il un "motmasque",
effet de mode éphémère et passager ou peut -il avoir plusieurs définitions ? la
complexité définie par Edgar Morin serait -elle un axe d'appui pour une autre manière d'envisager
l'action humaine ?
Cette conférence sera dans le voeu philosophique platonicien, à savoir tenter de sortir de l'opinion
en vue de passer à un discours creusant et définissant de manière réflexive les concepts.
Les différentes définitions de la complexité (1)
En langue ordinaire, le mot de complexité a pour synonyme celui de compliqué et s’oppose au
simple. Un problème complexe est un problème dont la solution n’est pas immédiatement
apparente. L’étymologie de ce mot a deux racines : l’une latine à partir du verbe “ complectere ”
dont le sens premier est “ plier avec ”, “ entrelacer ”, “ plier en plusieurs fois ”, cette racine
étymologique latine s’oppose au mot “ simplex ” qui signifie “ ce qui ne fait qu’un pli ” ; l’autre
racine est le mot “ plek ” indo-européen qui s’est transformé en mot latin “ complexus ”.
En épistémologie, plusieurs définitions de la complexité semblent s'interroger mutuellement voire
même s’affronter. Par exemple, Jean -Pierre Dupuy rejette cette notion puisque le complexe
serait, pour lui, toujours un hyper compliqué que l'on pourrait simplifier ! Jacques Ardoino, partisan de la dialectique et de l’hétérogénéité refuse d'octroyer quelque pertinence à la suite
linéaire "compliqué-complexe". Jean Louis Le Moigne avance un paradoxe définitoire à l'aide de
la métaphore du discours sur la montagne, " paroxysme de la complexité qui a pour véhicule le
mot le plus simple... "(2).
La complexité serait -elle donc réductible ou irréductible au compliqué ?
Paradoxalement hyper simple ou pas ?
Si l'approche de Jean-Pierre Dupuy refuse la notion de complexité comme mot vide de sens, si
celle de Jean Louis Le Moigne tente de l'exprimer dans son indicible paradoxal, alors que Jacques
Ardoino privilégie l’hétérogénéité afin de la dire, seul Edgar Morin inclut le simple et le
compliqué dans la complexité de manière dialogique.
Comprendre l’épistémologie complexe à partir de l’histoire de la philosophie .
Mon éclairage est non pas celui d’une épistémologue mais celui d’ une historienne des concepts et
des systèmes de pensée. Afin d’entendre la définition morinienne de la complexité, il est selon
moi nécessaire de revenir en amont sur les visions du monde, les mythes et les paradigmes. A
l’origine de l’histoire de la pensé e deux mythes et deux cosmogonies. Le mythe d’Appolon fils
de deux dieux, aimant le tir à l’arc précis et juste sur la cible tout comme l’harmonie de la
musique de la lyre; le mythe de Dyonisos symbolisant la filiation d’un dieu et d’une mortelle,
aimant orchestrer des fêtes quasi orgiaques permettant de vivre à l’extrême jusqu’à en “ tomber
mort ”, redonnant vie à des bois de ceps morts en les touchant simplement ... En somme, en
mythologie l’opposition entre la pureté, la vérité, la justesse et l’harmonie avec le métissage, la
dialogie et le mouvant. Au début de l’histoire de la philosophie, l’opposition entre deux manières
de voir le cosmos : celle d’Empédocle pour lequel le monde est une Unité non séparée et celle de
Démocrite privilégiant la physique de s atomes séparés. Opposition cosmologique entre la vision
du Un et celle du Multiple. Et à l’origine de l’histoire de la pensée occidentale, deux
présocratiques Parménide et Héraclite, soubassements opposés entre la pensée de l’identité et de
la permanence et celle de la mouvance. Si l'on garde comme définition essentielle du mot
kuhnien de "paradigme" l'idée d'un coeur de croyances à partir duquel la pensée s'exprimerait, on
aurait plusieurs options afin de comprendre le vocable de complexité : si notre cro yance
épistémologique a pour finalité l'explication, le mode de fonctionnement, le repérage des plis de l'hyper compliqué et de leurs interactions et régulation, le discours de J. P. Dupuy est légitime. Si
notre croyance épistémologique a pour finalité le noeud gordien, on entre dans Bachelard où toute
modélisation scientifique est une mise en scène déjà erronée parcellairement ou complètement
pour une autre mise en scène future. Si on demeure dans un mode de questionnement
parménidien, on recherche toujours un invariance, une homogénéité, un mode de fonctionnement,
une explication causale. Parfois on aimerait même découvrir des lois causales de "l'émergence
aléatoire" à partir de modélisations hyper compliquées de connexions de variables indéfinies… -
cf par exemple la biologie moléculaire - La normativité visée demeurant toujours la prédiction. Si
on demeure dans un mode de questionnement héraclitéen, on perd toute prétention à l'explication
causale et prédictive.
L’épistémologie héritière de la pensée occid entale s’est inscrite plus particulièrement dans une
mise en scène apollinienne, démocritéenne et parménidienne. Nietzsche a tenté comme
philosophe de revenir à une mise en scène héraclitéenne et dionysiaque. Edgar Morin,
privilégiant comme clef d’entrée d ans l’épistémologie complexe la dialogie, tient ensemble les
deux mises en scène.
Construction enchevêtrée de la notion de "complexe " par Edgar Morin (3).
Dans La Méthode deux théorisations sont présentes et signalées comme entrées de la pensée
complexe :
• la propédeutique pour une pen sée non linéaire se trouve être de l’ordre de la théorie de
l’information, processus de rétroaction cybernétique, entrée dans la récursivité, sortie de la
causalité linéaire pour une causalité circulaire. En tant que rez de chaussée, cela retranscrit fort
bien la genèse du processus de pensée de l’auteur lors de ce qu’il appelle dans le livre Mes
démons sa “ deuxième réorganisation génétique ” à l’occasion de son travail de recherche dans le
Laboratoire Américain du Salk Institut.
Mais cette “ réorganisation génétique ” n’est en rien bouleversement paradigmatique. On peut
découvrir comme sous-jacent à tout discours tel ou tel paradigme car il témoigne de certains concepts fondamentaux, des catégories maîtresses de son intelligibilité ainsi que des relations
logiques entre ces concepts ou catégories. Par exemple, lorsque Bachelard écrit son
épistémologie non -cartésienne en vue d’une pensée constructiviste, il s’inscrit toujours dans une
philosophie de la représentation où les concepts de sujet et d’objet deme urent présents. Il dit lui -
même sa volonté de “ distordre les couples conceptuels de la métaphysique classique, tels
réalité/apparence, être/non -être, abstrait/concret, vrai/faux, sujet/objet...; cependant les distordre,
c’est encore les garder comme fondements même si le sujet influence son objet de connaissance
en l’étudiant et perd l’espoir de pouvoir cibler l’essence inaliénable du réel pour n’en pouvoir
construire qu’une connaissance dite “ approchée ”. D’ailleurs, certains titres de Bachelard
témoignent de son appartenance au rationalisme : Le rationalisme appliqué et Le matérialisme
rationnel , titres dans lesquels sa démarche épistémologique se révèle plus être une volonté
d’interaction réciproque de l’esprit rationnel du chercheur et de la matière que le rejet de leur
existence ou de leur séparation (4).
Or, dans la théorie de l’info rmation, reprise par Edgar Morin en amont de la construction de sa
pensée, les concepts d’espace, de temps et de causalité demeurent présents. L’espace demeure à
deux dimensions, même si la ligne se boucle en cercle ; le temps de l’ “ input ” et de l’“output ”
ne sont en rien confondus, même s’ils interagissent l’un sur l’autre ; le principe de causalité
demeure toujours premier, même si la boucle récursive permet le rebondissement de la cause en
effet et de l’effet en cause car ce n’est, ni au même moment du parcours de la boucle, ni dans le
même espace point du cercle. Demeurent donc, sans aucune remise en question, les séparations
de l’avant et de l’après, les parcours différents et pluriels du cercle et le principe de causalité.
• cet étage propédeutiqu e dont le principe fondamental est la rétroaction entendue au sens de
Wiener, appliqué à la théorie biologique de l’auto -organisation, implique la deuxième entrée de la
pensée d’Edgar Morin, à savoir la pensée auto-éco-organisationnelle, fer de lance de la théorie
des systèmes complexes.
Quel serait l’historique épistémologique de la systémique complexe ? En premier lieu, le concept
de système est héritier du concept de structure. Or, le structuralisme ne s’érige pas contre la
théorie atomiste mais privilég ie la recherche d’un modèle combinatoire organisationnel des unités isolées afin d’expliquer tel ou tel “ phénomène ” -au sens Kantien-. En second lieu, cette
première logique organisationnelle est incluse dans une autre logique organisationnelle, à savoir
la systémique. Le concept de “ système fermé ” peut alors être défini comme correspondant à des
interactions de structures entre elles, interactions non modifiables par l’environnement dans
lequel le système se trouve ; tandis que celui de “ système ouvert ” combine de manière
enchevêtrée les interactions internes et leurs modifications dues à l’inclusion du système dans tel
ou tel environnement qui rejaillit sur la logique organisationnelle, et ceci de manière indéfinie...
Plus ces enchevêtrements d’inter actions internes-internes et internes-externes seront nombreux et
dépendants de facteurs aléatoires, plus le système ouvert sera dit “ complexe ”.
Tentons maintenant de visualiser cet historique épistémologique, à savoir de la pensée linéaire à
la systémique complexe : qu’il s’agisse de points séparés sur une ligne, qu’il s’agisse d’une
organisation de ces points en structures, qu’il s’agisse d’organisations plus compliquées de ces
structures en systèmes fermés, voire même d’organisations hyper compliquées de ces structures
en systèmes ouverts aléatoires et dits complexes, la fondation originaire paradigmatique est
toujours empreinte d’un mode de pensée disjonctif et réducteur même si la focalisation du regard
s’ancre dans des concepts de plus en plus ouver ts.(5) De plus, tous ces modes de lecture
organisationnelle sont toujours modélisables et, par ce faire, appartiennent toujours à une
philosophie de la représentation dans laquelle tout chercheur construit sa modélisation de telle ou
telle réalité complexe(6), modélisation rétroagissant sur ce même chercheur (7)-
Et comme tout chercheur exprime dans ses textes s on appartenance à un mode spécifique de
raisonnement issu de son paradigme originaire, essayons de creuser cette question.
Présupposé : les résonances des mises en scène dans les modes de pensée.
Tout processus de pensée d’un chercheur participe comme tou te activité cognitive de
“ résonances constitutives ”(8) habitant certains modes de raisonnement. Par exemple, un penseur
cartésien réside dans une logique constituée de deux substances exclusives l’une de l’autre -res extensa et res cogitans -(9), ces deux substances finies étant créées par un Etre divin extérieur à
elles puisque infini (1séparé de 1+1disjoints). Ce tte logique peut être compliquée comme dans
les trois moments de la dialectique hégélienne en vue de la réalisation de l’Esprit.
Or, lire les auteurs cités ci -dessus avec ce mode de pensée identitaire et permanent (10), c’est se
référer au paradigme Parménidien : “ l’Etre est, le Non-être n’est pas, le vrai ne pe ut être faux en
même temps... ”.
Les théories propédeutiques, sortes de permissivités d’entrer dans la complexité future d’Edgar
Morin, connotées par lui -même de “ riez de chaussée ” de la pensée complexe appartiennent à ce
même paradigme.
Alors quelle serait la clef d’ouverture originaire du processus de pensée complexe ? Appartient -
elle à un autre paradigme, sachant que la théorie de l’information et la théorie des systèmes ne
demeurent que des passages propédeutiques obligés afin d’auto -éco-organiser nos visions trop
ponctuelles mais demeurent sous une paradigmatique originaire identique ? Edgar Morin y
répond lui même dans un entretien que nous avons eu en mai1996 à Paris (11): “ seule la pensée
dialogique est le coeur de la pensée complexe ”.Tentons donc de l’expliciter.
• la pensée dialogique, aporétique, vivante, indicible et inexplicable où tout système est et
demeure en même temps anti -système, où la computation n’est pas jonction conn exion comme
dans la langue des ordinateurs mais “fusion/tension” (12). Si je segmente et tente d’ expliquer les contraires dans leur seule opposition (13), je ne suis plus penseur complexe car je pense alors en
logique disjonctive. Si pour lire la récursivité, je m’en tiens à la cybernétique, je n’entends pas la
boucle spiralaire et indéfinie qui la “ dépasse de tous côtés ”.(14)Si pour entendre l’hologramme ,
j’explicite le texte des deux infinis de Pascal en allant de l’infiniment grand à l’infiniment petit et
inversement, je perds les fondamentaux du principe hologrammatique complexe puisque je pose
les deux infinis comme bornes séparées (15)...Or, Pascal indique très précisément ce point abstrait
de “ fusion tension ” par le vocable “ entre (16) les deux infinis ”.
Et si enfin, pour entendre la dial ectique Hégélienne, je n’entre pas par la dyade dialogique et n’en
sors pas en imaginant à chaque niveau de la boucle récursive le point unitaire de résolution méta
théorique comme une dyade déjà oppositive, je n’entends rien à la Dialectique Hégélienne (17).. Ce
mode de lecture renversant sans cesse l’identique singulier dans l e non-identique duel est sous -
tendu par la mouvance et l’incertitude, principe clé du paradigme Héraclitéen. Mais, plus
précisément qu’est -ce qu’un mode de pensée dialogique ?
Le coeur de la mise en scène complexe selon E.Morin : de la dyade à l’“ unitas multiplex ”
Afin d’entendre ce qu’est une dyade, il est nécessaire de remonter à la langue grecque et à son
mode de fonctionnement linguistique. Chaque mot exprime en lui deux significations oppositives
tenues ensemble car leurs sens opposés ne se comprenn ent que l’un à partir de l’autre et aussi de
l’un vers l’autre : par exemple, techne ouvre en même temps sur l’art et l’artisanat et sur le mot
de technique dans sa connotation plus moderne commentée par Heidegger. La plupart des vocables importants s’expriment en faisant coexister sans cesse l’unité et la dyade des opposés.
De la même manière afin d’entendre Platon (18), il ne faut pas le lire uniquement comme un latin
qui séparerait l’ombre et la lumière, le visible et l’invisible, les apparences et l’Etre, mais
entendre que l’ombre est le reflet de la lumière et ne se définit que par son appartenance et image
“ à l’inverse ” de cette lumière, et vice -versa.
Nous sommes donc toujours lorsque nous pensons dialogiquement (19) dans un mode d’aperception
qui tient ensemble la lecture séparée et exclusive des contraires avec la lecture immanentiste,
réflective et téléologique des définitions des opposés l’un par l’autre. D’où les dyades
privilégiées par Edgar Morin : “ ordre/désordre ” et “ continu/discontinu ”... Et l’on retrouve
Héraclite qui refuse tout autant l’Un momifié que l’Univers pluriel afin de mettre en exergue le
“ perpétuel écoulement de toutes choses par lequel les contraires se renversent ironiquement les
uns dans les autres tout en étant conscient que c’est dans le devenir lui -même que se trouvent
l’Un et le permanent ” (20)
Cependant, toujours en dialogie, la dyade se compliquera dans d’autres conceptualisations en
“ unitas multiplex”. Cette notion monadique Leibnizienne est héritière de Plotin et de sa lecture
de Dieu “ un et multiple tout ensemble ” dans le livre V de la cinquième Ennéade. Le principe
d’Héraclite mêle 2 en 1 et 1 en 2 dans leur conflit et habitat permanents. L’“ unitas
multiplex ”(21)de Leibniz “ intersection abstraite exprimant l’infi nité ” autorise l’immanence de
l’infini en 1 en même temps que la singularité originale et monadique. Toute monade ou unité
singulière contient en elle l’Univers en l’exprimant spécifiquement car chaque être n’est qu’un
éclairage particulier du tout. Bien évidemment les prédécesseurs de Leibniz, à savoir Pascal et
Spinoza (Substance infinie/modes) ne sont pas étrangers à ce retour vers Plotin. Pour entendre la complexité d’E.Morin on ne peut que s’imprégner des dyades héraclitéennes
“ ordre/désordre ” et “ permanence/devenir ” en les enrichissant des dyades “ fini infini ” et
“ continu discontinu ” de l’unitas multiplex . Mais pour vivre sa paradigmatique, il est nécessaire
de tenir en dialogie les deux visions du Monde : gréco -latine Parménidienne ainsi qu e grécoorientale
immanentiste en énonçant les axiomes Pascaliens : “ Le Tout est plus grand que la
partie ” et simultanément “ le Tout est moins grand que la partie ”, tout comme “ La partie est
plus petite que le Tout ” et simultanément “ la partie est moins grande que le Tout ”. D’où la
difficulté, voire l’impossibilité d’une formalisation de cette manière de penser, puisqu’on doit, en
même temps penser ces visions du monde comme séparées, complémentaires et susceptibles
d’être unies et, en même temps le s fusionner(22). Selon moi, lorsque Edgar Morin dans le tome III
de La Méthode tentait une requête de formalisation et d’union des deux paradigmes auprès d’un
ami logicien, il revenait en amont de la propédeutique de son propre processus de pensée. Car, il
écrit assez souvent : aucune traduction formelle ne peut rendre compte de ce “ Tout indicible et
conflictuel ”. La pensée complexe ne peut être modélisée, c’est un “ défi ”, une “ attitude ”,
expressions rappelées fort souvent dans les débats des Journées Thématiques en 1998 à Paris (23).
Etre un penseur complexe selon Edgar Morin, c’est savoir simultanément “ computer ”(24) et
“ cogiter ”. La “computation” est entendue autrement que dans le langage informatique ; il s’agit
de “fusion tension” en raison de la dyade unitaire et oppositive. Quant à la “ cogitation ”, elle
rappelle l’“ unitas multiplex ” : “ conception de l’unité dans le divers et le multiple et
simultanément conception du divers et du multiple dans l’un ”
Et si un philosophe se reposait la question “comment comprendre la complexité ?” il répondrait :
par les aperceptions simultanées et de la dialogie (incarn ée dans les apories de la connaissance
présentes chez Pascal, Leibniz, Nietzsche tout comme dans la vie des grands mystiques comme Thérèse d’Avila et Saint Jean de La Croix), et de la réflexivité du cogito cartésien (25), “idée de
l’idée” en entendant par “ idée ”, l’“ idée du corps ” comme Spinoza(26).
Trois interprétations possibles de la notion de complexité chez Edgar Morin.
Trois interprétations de lecture d’Edgar Morin demeurent possibles : une interprétation
didactique, une interprétation dialogique et une interprétation ench evêtrée des deux modes de
lecture.
Interprétation didactique.
• Soit on lit les principes de la récursivité et de l’hologramme de manière figurée et ils demeurent
alors des principes didactiques de mise en doute d’ une épistémologie classique. Le cercle opère
une première transformation de la droite en la fermant. L’hologramme, figuré par des droites et
des points nous réclame, afin d’être compris, d’être vu de manière géométrique mais aussi sous
forme métaphorique p ar la projection des points et des droites en des “ points abstraits ”; d’où la
permissivité d’“ approcher ” de manière non complexe le dialogique par cet exercice.
Interprétation dialogique.
• Soit l’on s’en tien t aux précisions données parfois par Edgar Morin lui même et on irrigue la
récursivité et l’hologramme de visions dialogiques. Comment ? La récursivité serait dans un
même temps, “ cybernétique ” avec l’exclusion réciproque de l’entrée et de la sortie dans leur
mouvement circulaire, et “ roue des contraires ” dans un mouvement spiral de génération des
états contraires - reprise d’un thème pythagoricien indiqué par Platon dans la première partie du
Phédon : par exemple, toute chose passe du chaud au froid et vice versa mais en n’oubliant pas
que ce devenir exige un sujet unitaire du devenir.
L’hologramme se doit lui aussi d’être tenu comme figure géométrique kaléidoscopique et en
même temps comme conceptualisation de l’immanence du fini et de l’infini....Mais en ce sens
aucune modélisation ne pourrait se réclamer de la pensée complexe, pas plus le connexionisme
des neurosciences que la systémique car ils n’habitent pas en dialogie...De nombreux auteurs se
disant moriniens seraient alors fort déçus par cette in terprétation.
Interprétation sous forme de noeud gordien.
• soit encore l’enchevêtrement de ces deux modes de lecture souvent exprimé comme
construction de son processus de pensée par Edgar Morin dans La Méthode : en amont,
propédeutique des principes lus de manière non complexe puis énoncé du principe dialogique
afin d’entrer dans la complexité, et enfin le principe dialogique irriguant les deux autres principes
pour penser la complexité.
Evidemment, cette brèche e ntre trois interprétations ou/et une seule irriguant les trois peut
s’ouvrir vers d’autres lectures et chaque lecture sur d’autres “ pensées vivantes ”.
Conclusion
Demeurer lucide sur la mise en scène dialogique de la notion de complexité déplace les modes d'
interrogations. Comprendre Edgar Morin oblige à une attitude mentale de réflexivité ; c'est une
sorte de défi car il ne peut plus être question de rechercher ni modélisation ni formalisation, ces
questionnements demeurant en prise avec la vision par ménidienne. La notion de complexe demande donc aux praticiens d'interroger non seulement leur expertise et leurs savoirs, mais aussi
de cheminer sans cesse à l'interface de l’un et du multiple, de la causalité et de la finalité, du fini
et de l'infini, du continu et du discontinu… ; ce voyage devant être une errance sans jamais
privilégier un mode de pensée quel qu'il soit. Son approche nous incite à inventer de manière
nomade, sans aucune méthode repérable d'autres sens de la scientificité et de l'action.
Que faire de la notion de complexité chez Edgar Morin pour la pratique ? Il me semble que
quelques conseils pourraient en être tirés en vue d'une sorte de stratégie mentale de tous les
instants : douter, problématiser, réfléchir, combiner plusieurs regards , et plusieurs mises en scène,
somme toute inventer et créer une méthode, la sienne à tout moment : "Aides toi ; la méthode
t'aidera".
1 Cf article C. Peyron Bonjan "Des apories de l'épistémé aux concepts de la praxis - questions épistémologiques à
propos de la recherche en éducation" in L'année de la recherche en sciences de l'éducation, AFIRSE, PUF, Paris,
1994, pp 71 - 87.
2 J.L. Le Moigne dans un entretien avec J. Ardoino, Aix, 1993.
3 Cf article C. Peyron Bonjan "La pensée d'Edgar Morin réinterrogée pour un enseignement à visé e cognitive
complexe" in L'année de la recherche en sciences de l'éducation, AFIRSE, Matrice, Paris, 2000, pp 21 - 40.
4 l’interaction n’évite pas la séparation du savant et de son objet de recherche ; pour cette raison, le constructivisme
habite encore la philosophie de la représentation.
5 du point sur un vecteur à une organisation de vecteurs, puis à une organisation d’organisations de vecteurs, puis à
une organisation aléatoire et toujours mouvante due aux interactions des organisations des organisations de
vecteurs...
6 complexe est pris ici dans le sens ordinaire de la langue française et pas dans son sens épistémologique morinien.
7 cf Le Moigne La Modélisation des systèmes complexes -.
8 cf Peyron-Bonjan in “ Le sujet : mythe et en -jeu de l’éducation ” in Actes du Colloque de l’A.F.I.R.S.E. 1997 à
Rabat-Maroc.
9 substances séparées dont l’ union s’opère topologiquement chez l’être humain dans la “ glande pinéale ”.
L’imginaire à propos de cette glande demeure encore vivace aujourd’hui (cf les expériences ayant permis l’invention
du produit appelé mélatonine).
10 Il existe cependant, d’autres modalité s de lecture des auteurs (logique immanentiste et inclusive, couplage des
logiques exclusives et inclusives...) certains auteurs s’y prêtant mieux que d’autres. Pour ne prendre qu’un exemple
la lecture de Descartes par Husserl dans les Méditations cartésie nnes focalisant sur le doute et le cogito n’appartient
pas au même logos que la lecture insistant plus sur le Discours de la Méthode et la pensée analytique.
11 cf Pratiques de Formation -Analyses- Paris VIII- Janvier 2000-
12 reprise d’une métaphore trouvée pour une communication au colloque M.C.X 1997 à Poitiers et acceptée par
l’auteur : “ cette métaphore aide si l’on songe à la fois à la fusion et à la tensio n et à condition de savoir
intégrer l’opposition de ces termes ”
Le signe / se voudrait signe du dialogique (impossible à représenter car la barre suggère plus la séparation
que la séparation/non -séparation pensées ensemble).
13 je préfère les vocables d’opposés et de contraires plutôt que de contradictions car ce dernier demeure trop connoté
par la logique des propositions.
14 “ Wiener a fait émerger la notion de boucle, mais la notion de récursivité en son sens complexe dépasse de tous
côtés la cybernétique... ” cf Entretiens 1996, op cit, E.Morin.
15 cf Morin : “ je loue Pascal d’être dialogique...ceux qui sont dans le principe hologrammatique non complexe ,
ce sont tous les tenants de l’analogie d u microcosme et du macrocosme . Or cette idée est excellente mais possède
un défaut : pour elle le microcosme est le miroir du macrocosme mais elle oublie l’hologrammie : c’est que le point
est singulier tout en ayant en lui le tout. ”
16 quoique ce mot puisse être entendu dans son sens habituel (entre deux choses séparées) et non de manière
Pascalienne.
17 souvent dans les textes d’E.Morin on trouve cette appellation de la dialectique en lieu et place de la dialogie mais
c’est parce que sa focalisation de la dialectique Hégélienne est le renversement des opposés l’un dans l’autre à
chaque moment de la dialec tique, car même à l’intérieur de chaque point méta -théorique de résolution synthétique se
joue une autre dialogie ( cf op cit, Entretien IV discussion sur Hegel avec C.Peyron -Bonjan).
18 contrairement à son enseignement en classe de terminale qui reflète la logique indiquée dans le paragraphe
précédent, logique dépendante du mode de pensée parménidien.
19 cf E.Morin in op cit Entretien IV avec J.Ardoino et C.Peyron -Bonjan le 20 juillet1997 : “ la dialogie maintient
ensemble la complémentarité des antagonismes et les antagonismes des complémentarités. Alors si ceux qui me
lisent n’entendent pas ensemble, c’est qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas entendre et leur univers m’est
étranger ”
20 cf M.Piclin Les philosophies de la triade , Paris, Vrin, 1980.
21 “ point abstrait ”, singulier, reflétant le tout et les autres singularités à sa manière unique, mais en même temps,
intersection non figurée de toutes les multiplicités, explicitera Leibniz.
22 le vocable “ fusionner ” reprend la métaphore “ fusion-tension ” mais ne doit être entendu ni comme confusion,
ni comme mélange, plutôt simplement comme non séparé.
23 Lors de sa nomination par le Ministre de l’Educ ation nationale comme Président du Conseil scientifique pour la
mission : “ quels savoirs enseigner dans les lycées ”
24 par le choix de l’ expression d’E.Morin, j’essaie de dépayser le lecteur et de retranscrire l’indicible dyade tel
qu’il la définit : “ perception du différent dans le même et perception du même dans le différent ”-cf Méthode III
p.117-. Il ne faut surtout pas le lire avec son sens technologique américain.
25 tous les titres des tomes de La méthod e en témoignent : la nature de la nature, la vie de la vie, la connaissance de
la connaissance...
26 en raison du parallélisme des deux attributs que nous connaissons : l’étendue et la pensée.