Epistémologie et Complexité- vidéos, colloques, articles

Les recherches dans l’enseignement supérieur : questionnements sur les pratiques d’écriture des synthèses de travaux.

Cette communication s’intéresse plus particulièrement aux questionnements à approfondir dans les Laboratoires de recherche avec des chercheurs en vue de l’écriture synthétique de leurs travaux.

Questionnements sur l’écriture

Le chercheur rencontre immédiatement plusieurs questionnements :
• Devra-t-il expliciter et dérouler l'enchaînement de ses "tâtonnements" tout au long de sa vie de chercheur ? Sans en omettre aucun, par honnêteté intellectuelle, il reconstituerait alors la ligne évolutive "abstraite" de ses analyses en profondeur de chaque étude ponctuelle afin de dégager une ou plusieurs trajectoires de recherches. Il postulerait alors la continuité de son existence de chercheur habitée par un ou plusieurs axes de développement. Bien évidemment non, car son processus n’est jamais un tracé évolutif, même à plusieurs courbures.
• Devra-t-il livrer son ”esprit de recherche ”sous forme d’explicitations courtes et ramassées de ses productions, véritable synthèse de son implication ? Dans la première acception, la rédaction deviendrait fortement "impressionniste" et éviterait toute possibilité d'entendre le processus de recherche. Dans le second sens de lecture de soi par soi, on entrerait dans l'"auto-analyse", concept illusoire, voeu pieu…
Tout en sachant ou n'apercevant pas ses oublis volontaires et involontaires, le chercheur se décodera de manière "récurrente" (BACHELARD) afin de reconstituer en écrits linéaires ces lignes brisées "d'obstacles" et de "coupures épistémologiques" (BACHELARD).
• Serait-il alors possible, pour approcher cet exercice de synthèse, d’écrire des "visions englobantes" des lectures récurrentes ? Ces "méta-regards" seraient appliqués sur des connexions construites par l'implication actuelle du chercheur. Ils ne diraient que les positions des méta-angles de vision contractant dans l'instant "x", à savoir l'année 2000, le "Passé, le Présent et le Futur" pour le moment de l'écriture. Le chercheur n'a jamais regardé les choses ainsi ; il ne les reliera jamais de cette manière après… L'art de la synthèse du deuxième niveau d'appréhension de l'exercice, à savoir métisser les "yeux au-dessus des travaux" –méta-théorie- avec les "sentiments et affects du dedans" –implication du chercheur- et « à l’intérieur des événements de recherche ponctuels" écrits auparavant, semble empreint de quelques difficultés. Quelle méthode pourrait alors épouser le chercheur afin de “ traquer ” son processus de recherche ?

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VERS UNE METHODE PHENOMENOLOGIQUE

On décidera "a priori " de se libérer de l'ancienne discussion "Théorie-Pratique" où les Sciences de l'éducation seraient des "sciences appliquées" pour privilégier l'image de ces sciences comme "sciences impliquées". En raison de cela, le chercheur ne peut être que fondamentalement impliqué par et dans le choix de sa méthode.
Une enquête de type empirique, partant des "sensations" et des impressions encore vivaces "hic et nunc " serait souhaitable car ce type d'"enquête" permet des "inférences" et des "connexions". Mais les lignes de force d'un "expériment " demeurent par trop "physiques", au sens classique des Sciences de la nature, chronologiques au sens "spatial" et implicantes, au sens d'un "ressenti visé toujours déjà là". On ne pourrait donc en extraire que des "catégories" diverses des objets parcellaires "d'étude", ou des "thèmes" fédérateurs ; ou, au mieux, la visée d'implication dans le champ des Sciences de l'éducation, et pas dans un autre !…Jamais le processus de recherche ne pourrait être entrevu, car on demeurerait dans une "perception aplatie" ; pire, on s'installerait dans un regard linéaire de l'ordre de la trajectoire en balistique, même s'il faisait retour sur lui-même à l'aide de boucles récursives!...
Or, l'enjeu de cette méthode serait de permettre de découvrir les "rétentions passées" et "propensions futures" grâce à un écrit rédigé "hic et nunc ". Mais comment procéder ? Faudrait-il d'abord les découvrir afin de pouvoir dérouler les réseaux du ou des processus de recherche comme multi-facettes, ou au contraire, analyser les réseaux déployés dans "l'experiment " de ses études..., afin de laisser poindre les "unités réquisits" de son processus de recherche ?
Or, les problèmes pratiques rencontrés lors de questionnements de différents chercheurs avec différents "attendus" nécessitent des "solutions" en vue d'une synthèse tout en sachant que ces résolutions sont "nôtres"- en tant que directeurs de recherche -, à tel ou tel moment de leur recherche, donc forcément "provisoires", "malléables" et "falsifiables"(POPPER)…
La fixation de points essentiels pour la recherche s’impose alors :
• Déterminer par une méthode d'investigation les expériences pragmatiques fondamentales, "matters of fact ", puis par "inductions" ou "inférences", en "abstraire" les "impressions de réflexion".
• Accepter le pluralisme des "impressions" de sensation et de réflexion, en abandonnant le voeu pieu de vouloir réduire plusieurs inférences à une visée unitaire.
• Ne plus tenter d'élaborer une "théorie de la connaissance" dans laquelle la "théoria " serait définitivement séparée de "l'aistesis ", mais plutôt une "Enquête sur l'entendement", consciente de ce que la nature humaine mêle entendement et imagination, jugement et croyance, raisonnement et "habitus ", dans sa "raison synthétique" assimilée parfois à "l'instinct", par son enracinement au plus profond de nous.
• Mettre aussi en exergue l’infirmité d’une pensée refusant naturellement l'hétérogénéité et se méfier de sa pente naturelle à l’homogénéisation.
• Contre cela, privilégier le nécessaire "retour aux choses" et l'obligatoire suspension du jugement .
Car la raison, entendue au sens classique, ne pourrait jamais être la source de la conscience d’un chercheur. Tout processus de connaissance serait une pratique, tentant, en vue d'une "synthèse", des "inférences découvertes par associations d’"experiments ". Faire ressurgir des "pratiques vivantes" tout comme la perception de "phénomènes mentaux". Seule la conscience est infaillible, car elle est imprégnée du "Lebenswelt " (HUSSERL), d'où l'inscription de la recherche dans une optique phénoménologique : le phénomène mental de la synthèse est "présence de l'esprit" du chercheur à lui-même.
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L’écriture du processus de recherche

Ecrire un processus de recherche partirait du "Théâtre des premières impressions" pour y porter une attention vigilante afin de réfléchir sur ce que le chercheur contient grâce aux relations et connexions, et permettrait le "retournement sur soi ». Tout travail de synthèse serait la permissivité d’un retour, non plus au sens d'une histoire récurrente, ni d'une histoire anecdotique, mais au sens d'une "historia " ou "histoire dans sa vivance". Méthode de réactivation du "phénomène mental" : du divers originaire des "feelings " à la conjonction consciente des motifs et des actions grâce aux "habitudes", "allants de soi", qui sont le secret de la "posture" du chercheur (ARDOINO).
En effet, "bien loin que l'objet précède le point de vue, c'est le point de vue qui crée l'objet de recherche" (SAUSSURE) ; il faudrait donc poser la question du processus de recherche à partir de son regard de chercheur, aidé en cela par l’éclairage des "passions" ou des "sympathies" pour tels ou tels thèmes de recherche.
Afin d’éclairer le processus de recherche, deux lectures seraient nécessaires : dans un premier temps, livrer, par un regard récurrent, des impressions encore vivaces ; dans un second temps, tenter quelques méta-regards inférant des réseaux de recherche.
"Le Théâtre des impressions" s’intéresserait aux inférences, sources et fondements, extraits des connexions ou conjonctions conscientes d'"experiments " semblables, et il laisserait advenir les "différences" sans que celles-ci ne perdent leur caractère distinctif qui leur est essentiel (HUME).
"Le Miroir des réflections", lierait dans des chemins "transversaux" l'originairement diversifié à l'aide de "connexions indissolubles".
Le chercheur se définirait par son projet, par son intentionnalité explicites, assortis toutefois des moyens stratégiques et méthodologiques qu'il se donnerait… En fait, le travail scientifique dépendrait d'une "économie optimale du rapport implication-distanciation" (ARDOINO), quoique la notion d’optimalité soit parfois un voeu pieu.
L'écriture du "Théâtre des impressions" serait plus impliquée et moins distanciée, la rédaction du "Miroir des réflections" se devrait d’être plus distanciée et moins impliquée…
Une autre question surgit : le "mode d’exposition empirique" nous entraînerait-il à détruire tout "savoir" dans sa positivité parce qu'il s'y "consumerait" ? dit autrement le savoir apparaîtrait-il comme "transgression" de toutes les différences montrées par les "impressions de sensation" par sa tentative de recherche de modèles cohérents et efficaces (GRANGER).
Cette tension méthodique et conflictuelle du chercheur ne serait-elle pas le moteur de tout processus de recherche et de toute tentative pour le transcrire ? Ne serait-elle pas à travailler systématiquement dans les laboratoires de recherche en vue des synthèses de travaux ?


C Peyron-Bonjan, Directeur de recherches au Laboratoire C.I.R.A.D.E.Université Aix-Marseille I, Sciences de l’éducation. Professeur Université Aix-Marseille II

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